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dimanche 8 décembre 2013

LA NUIT, DES MOTS

Dans cette séance du mois de novembre 2013, Isabelle nous avait demandé de travailler sur un texte inspiré du poème "Nuit sans date rue Saint Jacques" de Jacques Roubaud. Dans ce poème, l'auteur joue sur la répétition des sons et des mots en réutilisant constamment les mots "nuit", "tombe", "rue" et "là"



Quand les sons s'entrechoquent (par Annick)


La Nuit
 
Chouette silhouette sombre
sombre ombre chouette
ombre ouette ouette
chou chou ombre de la de la
de la la chouette sombre
si si chou chou ette
lou sombre sombrette
la sil la sil la chouette
sombre de la de la de la
silhouette hou hou hou
sombre la chouette
 

Noir vampire rouge sang
sang noir pire le vent
rouge et pire pire sang
vent noir noir sang
noir pire sang vent sang pire
vent rouge le noir
le noir en pire

JOUR DE LESSIVE

Séance du 2 décembre 2013

Aujourd'hui, Isabelle nous a proposé un thème tiré de la chanson "Passez votre amour à la machine" d'Alain Souchon. Après avoir fait notre échauffement sur des listes de mots sur le thème de la lessive, des mots et des émotions, nous avons écrits des textes en rapport avec le thème.



Recette pour une écriture délavée (par Annick)

Faire bouillir prosopopée
Rougir esperluette
L'alexandrin blanchir
L'hémistiche, on s'en fiche

Décaper l'oxymore
Sécher la métaphore
Suspendre l'apostrophe
Raccommoder les strophes

Blanchir l'imparfait
Délaver la dictée
Décrasser la grammaire
Javelliser les listes

Votre encre savonner
Papier, crayon balayer
Lessiver le sonnet
Tordre les guillemets

Les parenthèses gassouiller
les attributs crocheter
Les majuscules épingler
Jusqu'au gris bouilli arriver.

Un écrivain lessivé


Sales mots ! (par David) 
Jadis, quand on disait un gros mot, on vous lavait la bouche au savon. C’est que c’est traitre, un gros mot. Ça se cache entre vos dents, n’attendant qu’une occasion pour s’échapper de l’orifice buccal pour se jeter avec sauvagerie sur une pauvre oreille innocente. C’est pourquoi, chers enfants, il faut se brosser les dents matin midi et soir. On nous dit que ce sont les caries, mais non ! C’est pour nous débarrasser de tous ces vilains mots qui vivent, grandissent et se répandent au sein de notre bouche. Quelquefois les mots, ces perfides, glissent le long de nos bras, passent sur nos doigts et viennent salir une belle page blanche, si éclatante, si pure. Ils viennent la souiller de leur tracé tortueux, de leur encre noire comme leur âme. Leurs arabesques sinueuses et asymétriques n’hésitent pas un instant à déflorer la virginité de nos cahiers les mieux éduqués. J’ai même vu des murs, oui des murs de nos cités, ces fidèles remparts à l’uniformité si rassurante, se couvrir de la crasse et de la difformité des mots.

Et ces mots, un fois écrits, sont indélébiles ! On ne peut, comme avec la bouche, les brosser pour en ôter la souillure. Pour les nettoyer, il n’est hélas qu’une solution : Il faut les lire, mesdames et messieurs. Oui, les lire. Un par un et sans pitié, pour que le chiffon de notre regard les fasse retourner dans nos têtes, là où est leur place. Il faut lire, mes amis, car un mot qui n’est pas lu n’est qu’une tache sur du papier.


La deuxième proposition de la séance était de choisir un vêtement, soit de travail ou d'uniforme, soit ayant une utilité précise, et d'un faire une description mettant en scène sa fonction. 

Le Tablier de plastique (par David)

Je me rappelle, il y a longtemps, un cadeau d’une tante excentrique : un tablier en plastique pour enfants. Il était bien lisse et brillant, comme une auto neuve. D’un bleu vif, il arborait sur la poitrine un magnifique ours en peluche. Je ne devais pas avoir plus de quatre ou cinq ans. « Avec ça, fini les taches. Tu vas pouvoir t’amuser sans crainte », me disait ma tante, fière de son astuce. Je me retrouvais donc devant une boite de peinture à l’eau, un gros tas de feuilles blanches, et des pinceaux de toute dimension. Le tablier devait débrider mon imagination, me libérer du carcan de l’inquiétude, de la peur de la tache sur mes beaux vêtements. Petit Picasso, réveille-toi ! Avec un tel instrument, la gloire était à ma portée. Je me lançai donc à corps perdu dans l’art pictural. Le tablier était épais, raide, attaché sur l’arrière par des boutons pressions qui claquaient sur la matière plastique. Il me rendait plus raide que Boris Karloff dans son rôle fétiche, mais peu importait ! Il libérait mon esprit et le confiait tout entier à la créativité. A la fin de l’après-midi, pas une feuille ne restait vierge ! Pas un pinceau ne restait sec ! Mes jours même portaient les stigmates colorés de mon déchainement artistique. Et quand je baissais les yeux sur le miraculeux tablier, il m’apparut alors totalement exempt de la moindre souillure. L’ours me souriait du centre de ma poitrine sans qu’une seule tache de couleur ne vienne défriser sa fourrure. J’en concevais un remord atroce : ce tablier se devait d’être taché ! Sa propreté était un affront à mes élans créatifs !

dimanche 1 décembre 2013

QUESTION DE TITRE

Pour commencer ce blog, voici un texte de 2012 issu de la proposition suivante : Nous disposions d'une liste de titres, nous devions en choisir un et écrire une petite histoire issue de ce titre. J'avais choisi : "la maitresse de l'idiot". Le texte présenté ici est brut, et n'a pas été retravaillé.

La Maitresse de l'Idiot


Au village, tout le monde connaissait Basile. Le pauvre n’avait plus toute sa tête depuis l’accident qui, lorsqu’il était enfant, avait couté la vie à ses parents et lui avait ravi le peu d’intelligence qu’ils avaient pu lui léguer. Il logeait dans un réduit derrière la mairie, qu’il partageait avec le matériel de la commune. Monsieur le Maire lui donnait un petit salaire pour balayer les bâtiments communaux et la grand place, ou pour tailler les arbres et les rosiers de monsieur l’instituteur. Tout le monde avait, quand on le rencontrait, un mot gentil ou une tape condescendante sur l’épaule.
Seulement voilà : depuis quelques temps, les regards sur Basile changeaient. Basile avait une maitresse. C’était monsieur Gibert qui l’avait découvert en passant par hasard derrière la mairie après une soirée bien arrosée. Au début, il crut que Basile égorgeait un mouton, mais il s’aperçut rapidement, le rouge lui montant aux oreilles, que les cris qu’il entendait ne pouvaient provenir que d’une femme en proie au plaisir amoureux. Et quelle étreinte se devait être ! Monsieur Gibert en avait le cœur pincé de jalousie. Sacrifiant à la décence, Monsieur Gibert s’éloigna poliment pour respecter l’intimité de la vie privée de Basile. Mais cette attente ne devait pas durer bien longtemps, puisque le lendemain, l’heure de l’apéritif n’avait pas encore sonnée que le village entier discutait de la chose. Qui cela pouvait-il bien être ? Les hypothèses et les suppositions fusaient plus vite que les feux d’artifice du 14 juillet. La veuve Menile ? Surement pas ! Elle avait 80 ans ! La jeune Nathalie ? Son fiancé fut formel, à l’heure du crime ils dinaient ensemble dans sa famille. La nuit suivante, ce fut le vieil Antoine qui passa devant le réduit de Basile, rentrant chez lui après une belote acharnée où il avait perdu plus que ce que sa femme pourrait lui pardonner. Lui aussi entendit les ébats de Basile, qui semblait devoir pour le moins tenir de l’exploit sportif. Il hésita un moment à frapper à la porte pour être sur que tout allait bien, mais ne put s’y résoudre par crainte du ridicule.
Le lendemain, il ne manqua pas de compter les exploits du simple d’esprit, narrant lui aussi le caractère formidable de la chose. La rumeur s’amplifia, les soupçons se firent plus insistants. Certains lançaient des paris. Les femmes laissaient un sourire envieux passer sur leurs lèvres ou donnaient de vifs coups de coudes pleins de reproches dans les côtes de leurs maris.
Chaque nuit, l’arrière de la mairie devenait un lieu de passage de plus en plus fréquenté. On s’y saluait d’un sourire gêné, jetant un vague coup d’œil rapide vers la fenêtre où on espérait, en vain, découvrir un indice.
Le jour, on dévisageait les visages des femmes pour chercher à y déceler les stigmates d’une extase amoureuse.
Au bout d’un mois, la situation s’envenima. Si Basile avait fréquenté une étrangère au village, cela se serait su, à la longue ! C’était donc forcément quelqu’un d’ici. Les maris soupçonnaient leur femme, les mères soupçonnaient leurs filles ; chacun et chacune se dévisageait avec suspicion. Et bien sûr, personne n’osait demander directement à Basile, car cela ne se faisait pas. Ce n’est que lorsque le boulanger  se fut retrouvé chez le docteur, battu comme plâtre par sa femme à coup de pelle à pain pour lui avoir dit dans un moment de colère que ce devait être elle la fameuse maitresse, que l’on décida que trop, c’était trop ! Il fallait savoir !
On envoya donc monsieur le curé, neutre dans les affaires de cœur, pour poser à Basile la question fatidique.
L’entrevue se déroula chez Basile, à l’heure de la sieste. Après avoir servi poliment un verre de vin rouge à monsieur le curé, Basile attendit patiemment que celui-ci veuille bien lui dire ce qu’il voulait de lui.
-          - Basile, commenca monsieur le curé, tripotant nerveusement son verre. Tout le village sait que tu as… une amie qui vient te rendre visite le soir et avec laquelle tu… Je ne te parlerais pas de péché, pauvre innocent, mais disons avec laquelle tu… t’unis charnellement.
-          - Oh oui, monsieur le curé ! Même que c’est drôlement agréable.
Monsieur le curé fit une grimace génée.
-          - Bien sûr, Basile, bien sûr. Mais cette femme, elle est du village, n’est-ce pas ?
Basile fronca les sourcils, réfléchissant intensément.
-          - Oui, monsieur le curé.
-          - Bien ! Alors pour la sauvegarde de la sécurité du village, il faut me dire de qui il s’agit car vois-tu, cette histoire a jeté notre petite population dans le chaos le plus total. N’ai pas peur, Basile, tu ne seras pas réprimandé.
Basile afficha une mine un peu génée et sembla encore une fois se plonger dans une réflexion intense.
-          - Ben… hésita-t-il. La veuve Ménile…
-          - Quoi ? explosa monsieur le curé. Cette pauvre femme de plus de 80 ans ? Mais Basile ! Inconscient que tu es ! Mais tu vas la tuer ! Tu ne te rends pas compte de ce que tu fais ! Tu vas me faire le plaisir d’aller lui faire tes excuses immédiatement ! Je cours chercher le docteur, qu’il puisse l’examiner.
-          - Non, non, m’sieur le curé ! balbutia Basile d’un air affolé. La veuve Ménile… c’est la seule du village à pas être venue.