(Il est à noter que Véronique n'a pas pu assister à toutes les séances consacrées au "fil rouge" de l'année. Certains éléments sont donc manquants)
L’homme était assis à la terrasse du café. Seul.
Face à la place où défilait la foule des samedis après-midi. Isolé dans son
long manteau, il fumait cigarette sur cigarette. Son regard noir ne fixait rien
de précis, sauf lorsqu’il consultait sa montre ou l’écran sombre de son
téléphone.
La tasse de café, vide, trônait au milieu de la
table. 1, 2, 3,4 emballages de sucre ballotaient sous le souffle léger de la
brise. Les mégots s’entassaient au fond du cendrier. La main attrapait, puis
reposait fébrilement le téléphone portable qui demeurait obstinément silencieux.
La veille, la journée avait mal commencé. Il était
très en retard. Mais il n’avait pas réussi à s’éclipser assez rapidement :
sa femme l’avait rattrapé juste au moment où il montait dans sa voiture.
« En sortant du bureau, est-ce que tu pourrais faire 2 ou 3
courses ? ». Il n’avait pas trouvé de raison de refuser. Et ce soir,
le voilà qui tourne dans les rayons de la superette, à essayer de localiser les
précieuses denrées qu’il est censé ramener à la maison. « Yaourts, c’est
fait. Nutella : zut, demi-tour, je suis passé devant tout à l’heure.
Brioche, c’est bon. Chouchou Lou : qu’est-ce que c’est que ça ? Ça
doit surement avoir un rapport avec ma fille, mais lequel ? Et Max. Quelle
marque de dentifrice utilise Max ? J’ai passé ma journée à concevoir un
nouvel espace culturel pour la ville, à convaincre les élus d’oser se lancer
dans un projet ambitieux, à solliciter des mécènes pour qu’ils rajoutent un 0
au chèque qu’ils s’apprêtaient à faire. Et me voilà ramené à la simple réalité
du quotidien : j’ignore la marque du dentifrice utilisé par mon
fils… ».
Son esprit revenait
sans cesse à sa journée de travail. Il avait passé plus de 2 heures à essayer
de remanier ses plans. Le client avait
complètement modifié son projet. Il voulait plus de bureaux, moins vastes, sans
modifier le volume de l’ensemble. Un vrai casse-tête chinois. Un de plus. Mais
il avait toujours aimé relever ce genre de défi.
Dans un mois, c’est un
autre défi qui l’attendrait : emmener toute sa famille en vacances. Il lui
faudrait attraper les valises les unes après les autres et les ranger
méthodiquement dans le coffre de la voiture. Tout devait rentrer. On pouvait compter sur
les enfants pour veiller scrupuleusement à ce qu’il n’oublie rien. Et puis,
comme par miracle, tout finirait par trouver sa place. Toute la tribu se
mettrait en route pour l’océan. Comme chaque année.
Les vacances, c’était
surtout pour faire plaisir à sa femme et aux enfants. Lui, il s’ennuyait plutôt.
Il attrapa son téléphone posé sur la table et rechercha les messages échangés
avec son collègue l’été dernier.
« Bonjour Bernard. Le maire a-t-il rendu sa réponse ? Tu peux
me joindre par SMS ou par mail. Je consulte ma messagerie trois fois par jour,
à chaque retour de la plage ».
Un brusque coup de vent
le ramena à l’instant présent. Le ciel s’était assombri, l’orage menaçait. Les
passants défilaient devant lui en courant, pressés de rentrer avant que
l’averse ne les surprenne. Elle ne viendra plus. Il se décida enfin à se lever,
rassembla ses affaires et se mit en route d’un pas lent.
Samedi 14 mai
Je l’ai attendue une
bonne partie de l’après-midi. En vain. J’aurais dû m’en douter. Notre dernière
conversation ressemblait fort à un épilogue. Même si je refusais de l’entendre.
Ça m’apprendra à ne pas vouloir choisir. Je veux tout : mon confort ″bobo″,
ma famille, la routine rassurante du quotidien. Et le sel d’une aventure sans
lendemain qui dure depuis des mois.
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