Les titres ont été votés entre deux propositions : la première faite par la personne ayant écrit la première proposition (la troisième partie, donc), et la deuxième par la personne ayant écrit la proposition de fin.
NUMERO 18 (Marithé, David, Isabelle, Agnès, Annick)
Enfin le téléphone
sonna comme prévu, mais avec quelques minutes de retard cependant.
La
voix un peu rauque et lasse se voulait pourtant directive. Il saisit le petit
carnet noir sur lequel il inscrivait ou plus exactement gribouillait ses
rendez-vous. Tout en notant le lieu et l’heure, il visualisait ce quartier
quelque peu « chicos » où on lui demandait de se rendre ; ce n’était pas si
loin...
Oui,
bien évidemment, il ferait attention ; la deuxième à gauche à hauteur du numéro
18, une grande maison sur la droite, trois niveaux, entourée d’une grille dont
le portillon s’ouvrait sans peine. Non, il ne se présenterait pas devant
l’entrée principale, oui il traverserait le jardin et ferait le tour pour
rejoindre la porte située derrière, souvent réservée aux gens de maison.
A
présent, il n’avait plus une minute à perdre. Il enfila son imper, prit les
clés de la bagnole, descendit les escaliers en trombe, Dieu merci, la voiture démarra
au quart de tour. C’était l’heure d’affluence et des embouteillages à chaque
carrefour. Il n’arriverait jamais à temps. Après avoir remonté une partie de la
rue que la voix lui avait indiquée, il gara sa voiture le long du trottoir, en
plein devant une bouche d’incendie. Il extirpa son imposante carcasse du
véhicule qu’il referma en claquant violemment la portière. C’était le seul
moyen pour qu’elle ferme comme il faut. Il jeta un coup d’oeil aux alentours et
son visage se plissa en une grimace inquiète. Sa vieille guimbarde jurait un
peu dans le paysage. Des maisons cossues s’alignaient le long de trottoirs où
pas un mégot ne traînait. Il n’aurait pas du se garer devant cette bouche
d’incendie, finalement. Mais il était déjà en retard, alors tant pis, il ferait
avec.
«
Si je chope une prune, elle ira rejoindre les autres dans la boîte à gants »,
se dit-il en écrasant son mégot sur le béton immaculé du trottoir. Ajustant le
col de son imper, il remonta la rue d’un pas rapide, décochant de temps à autre
un regard sur la droite pour vérifier les numéros. Il commençait à faire nuit
noire, à présent. La lueur jaunâtre des réverbères semblait un bien maigre
rempart contre les ténèbres qui envahissaient la rue. Il s’arrêta enfin devant
le numéro 18. C’était là. Une grande maison à trois étages, légèrement en
retrait, séparée de la rue par un jardinet, lui-même ceinturé d’une haute
clôture en fer forgé. Ça sentait le pognon à plein nez. L’odeur n’était pas
pour lui déplaire, mais elle le mettait mal à l’aise. Il s’approcha du
portillon et manœuvra la poignée. Celle-ci tourna sans efforts, conformément
aux instructions que lui avait données le client.
Jusqu’ici,
pas de problèmes. Il se glissa rapidement dans le jardinet et referma le
portillon le plus silencieusement possible. Suivant les consignes à la lettre,
il ne s’approcha pas de la grande porte mais contourna la maison pour atteindre
la porte de derrière. A l’écart de la rue, il fut aussitôt plongé dans
l’obscurité. La lueur de la lune lui permit cependant d’apercevoir un vaste
jardin aux haies impeccablement taillées. La grimace revint courir sur ses
lèvres.
«
S’il y en a qui aiment, tant mieux, mais c’est pas mon truc » murmura-t-il d’un
ton ironique.
Il
s’approcha de la porte. Selon le client, elle était ouverte et il n’avait qu’à
entrer. Il hésita un instant. Aucune fenêtre de la grande baraque n’était
éclairée. Le mauvais pressentiment qui l’avait saisi après le coup de fil
revenait lui chatouiller la nuque. L’espace d’une seconde, l’idée de repartir lui
traversa l’esprit. Mais le chiffre mirobolant de la récompense promise lui
remit vite les idées en place. Il grimpa sur le perron, tira la porte et pénétra
dans la maison. A l’intérieur, l’obscurité était totale. Son premier réflexe
fut d’appeler, mais son instinct de vieux briscard lui intima de la fermer. Il
tâta la poche intérieure de son imper et referma délicatement la main sur la
crosse de son flingue. Puis
il regarda autour de lui en prenant soin de ne faire aucun bruit. La pièce
était plongée dans la pénombre mais il parvint à deviner une silhouette. Ses
yeux s’habituant à l’obscurité, il distingua alors plus nettement la forme
d’une femme vêtue d’une longue robe claire, allongée sur le sol, juste à côté
de la porte-fenêtre menant à la terrasse.
Sa
chemise lui collait au corps, des gouttes de sueur lui perlaient au front, il
eut soudain l’envie de faire demi-tour et de repartir d’où il venait. Ce
n’était pas du tout ce qu’il avait prévu.
«
Nom de Dieu, se dit-il, mais qu’est-ce que je fous là ? »
Une
légère brise agitait le rideau, la femme ne bougeait pas. Il avança d’un pas,
puis de deux, le plancher grinça légèrement.
« Je pourrais peut-être m’arrêter un
instant ».
Il
respira un bon coup, s’agenouilla et toucha la femme. Elle était raide. Il essaya
de la soulever ; il eut un mouvement de recul, c’était un mannequin. Qu’est-ce
qu’il foutait là ? Il essaya de rassembler ses idées, pourquoi un mannequin là,
à côté de la porte menant à la terrasse ? C’est alors qu’une voix féminine retentit
derrière lui, lui intimant l’ordre de ne pas bouger et de garder les mains sur
la tête. Supposant qu’elle était armée, il préféra obéir, mais son cerveau
travaillait vite et les questions surgissaient rapidement. Qui était cette
femme ? Que faisait-elle ici et qui l’avait prévenue de sa venue pour qu’elle ait
eu le temps de préparer cette mise en scène ? Avait-elle déjà récupéré la
drogue ? Comment lui expliquer qu’il n’était pas là pour la tuer ? Il n’avait
pas envie de mourir aussi bêtement. Faire diversion était sa seule issue. Il ne
voyait pas la femme, sa voix était énergique et semblait proche.
«
Lève-toi, lui dit-elle, et pose ton flingue.
–
Qui êtes-vous ? Osa-t-il demander ?
–
Peu importe Je viens pour la même raison que toi.
–
Vous avez la came ?
–
Non, je la cherche, mais toi, tu sais où elle est. »
Il
vit alors une possibilité de s’en sortir.
«
Oui, je le sais et, si vous me butez, vous ne l’aurez pas. Qui vous a envoyée ?
–Tu
es trop curieux, mène moi à la cachette
–
OK, mais baissez votre flingue et concluons un marché : on fait part à deux.
–
Non, j’ai besoin de tout. »
Il
eut tout à coup une révélation : une seule personne savait qu’il devait venir
ce soir. Elle était la femme de l’homme à la voix rauque. Il le lui dit et elle
acquiesça. Elle avait entendu la communication téléphonique et elle travaillait
pour son propre compte. Elle doublait ainsi son mari et partait avec l’héroïne.
L’ambiance se détendait, elle avait allumé une lampe et il voyait une belle
femme qui plus est, de caractère. Encore agile, il sauta brusquement dans sa
direction, la ceintura et lui fit lâcher son arme.
«
Si nous partions tous les deux à l’étranger, je sais à qui il vend la drogue.
–
OK, lui dit-elle sans hésitation, tu ne peux pas être pire que mon vieux et
j’en ai assez de vivre avec lui. D’autre part, il y a longtemps que je
l’entends me parler de toi, en bien, même si je ne sais pas ton nom. L’aventure
me tente. C’est lui qui sera le dindon de la farce.
–
Alors, allons-y, prenons l’héroïne et nous irons au soleil sous les Tropiques.
»
POMPON LA MALICE ET DUPONT LAJOIE (Véronique, Isabelle, Marithé, Catherine, Agnès)
Encore une journée comme il les détestait :
des filatures qui n’en finissent pas ; des heures d’attentes à patienter sur le
trottoir face à un pavillon de banlieue sans âme. La planque n’avait rien
donné. Ce petit malfrat qu’il devait surveiller avait passé la journée à
déambuler dans les rues de la ville, entrant tantôt dans un bar, tantôt chez un
buraliste. Toujours seul. A part les commerçants, il n’avait pas échangé deux
mots avec quiconque. Et il avait fini par rentrer chez lui, sans doute pour se
vautrer dans son canapé devant un match de foot en décapsulant quelques bières.
La relève avait mis des heures à le rejoindre. Quand enfin il avait vu arriver
son collègue, il espérait bien pouvoir rentrer chez lui, lui aussi. Mais
s’était sans compter son adorable commissaire. Un appel anonyme avait signalé
des coups de feu qans un entrepôt du coté du port. Le patron voulait qu’il aille
vérifier ce qui se tramait. Le port était de l’autre côté de la ville ; en pleine
heure de pointe, il lui faudrait une bonne heure pour l’atteindre. C’est donc
en maugréant qu’il tourna la clé de contact et démarra la voiture. Quand enfin
il arriva enfin à destination, le soir tombait.
Dans le silence de la nuit, Il
entendait les sirènes des bateaux qui rentraient au port et le choc métallique
des dernier containeurs qu’on déchargeait. Hormis la lueur pâle qui marquait
l’horizon le ciel était d’un noir d’encre. Seuls les docks luisaient lugubres
sous les flaques des réverbères. Il n’avait rien mangé depuis le matin et le
froid humide le transperçait jusqu’aux os. En longeant le mur de brique, le
bruit de ses propres pas résonna dangereusement à ses oreilles. Il remonta le
col de son imperméable et accéléra le pas. Il sentait la bosse de son revolver
dans sa poche mais n’en était pas rassuré pour autant. Soudain dans la nuit un
rire brutal le fit sursauter, puis il entendit un chien aboyer. A quelques
mètres de l’entrepôt plongé dans la pénombre, il lui sembla distinguer
l’extrémité rougeoyante d’une cigarette, mais trop loin encore pour en sentir
l’odeur ; il pensa qu’il se trompait. D’ailleurs le point rouge disparut aussi
vite qu’il était apparu. Il s’arrêta devant l’immense hangar dont le volet
roulant était relevé. Immobile, l’homme demeura quelques minutes sous
la pluie fine.
Il entra ;
une lumière blafarde éclairait la pièce noyée dans un brouillard opaque de fumée.
Une odeur de tabac mêlée aux vapeurs d’alcool flottait dans l’air et une
cigarette finissait lentement de se consumer sur le rebord d’un cendrier trop
plein. La chaleur était suffocante, l’atmosphère irrespirable, le silence
assourdissant. Les sens à leurs paroxysmes, la tension était palpable dans ce
désert hostile. Il eut l’impression que son sang se glaçait alors que la sueur
dégoulinait le long de sa colonne vertébrale et lui rendait les mains moites.
Alors qu’il balayait la pièce une nouvelle fois du regard, la respiration haletante,
glissant à pas feutrés semblable à une ombre sans âme, il ne se
rendit pas compte qu’au fond de la pièce,
dans un coin sombre, un corps inerte gisait sur le sol poussiéreux de
l’entrepôt. Immobilité effrayante, visage tuméfié, énorme flaque de sang autour
du corps : tout signifiait qu’un drame irréversible avait
eu lieu.
Mais quelle
était cette odeur de cigarette encore présente dans l’atmosphère ? Le meurtrier
était-il revenu sur ses pas ? Avait-il oublié quelque chose, un indice, un
objet ? Était-il revenu effacer quelques traces de son crime ?
Il
s’approcha du corps pour déterminer qui pouvait être la victime. Il aperçut
posé à côté de la tête, une casquette. Le mort portait un costume de marin. Il
reconnut tout de suite l’identité de la victime. Oui, c’était bien lui : Pompon
la malice, un vieux marin connu comme un loup blanc au port. Il écumait les
bistrots depuis des lustres, toujours en quête de petites escroqueries qui lui
permettaient d’arrondir ses fins de mois. Avec Dupont la joie, un autre marin
et vieil ami, et quelques coups dans le nez, Pompon la malice rivalisait
d’ardeur pour trouver milles et unes combines pour gagner quelque argent et
payer d’autres tournées. Les soirées n’en finissaient plus jusqu’à ce que les bistrots
ferment un à un leurs portes.
Mais,
la dernière virée s’était terminée tragiquement pour Pompon la malice. Que s’était-il
donc passé ?
C’en
était fait de Pompon la malice. Il sortit son portable et appela une ambulance probablement
pour la morgue. Il pensait à un règlement de compte, il lui fallait trouver Dupont
la joie et c’était une autre paire de manche. Le soir tombait et il fallait
faire la tournée des bars avant qu’ils ne ferment les uns après les autres. Il
se mit alors à réfléchir tout haut. Drôle de fin pour cette vieille éponge de
Pompon la malice. Mais où s’était donc retiré Dupont la joie ? Il avait du
trouver un stratagème pour disparaitre et attendre que tout se calme, était-il
coupable ? L’enquête promettait d’être difficile, elle commençait déjà. Mais
cela est une autre histoire.
LA GRANDE
VIE / GARY (Isabelle, Guilhem, Véronique, David, Margot)
Les coups de feu résonnaient
encore à ses oreilles.
Gary
savait que le temps lui était compté, que tout allait mal finir. Clara et lui
avaient mené la grande vie pendant toutes ces années ou ils avaient escroqué la
famille Escarate. Ah ça pour flamber, ils avaient flambé, se croyant protégés
par leur insolente jeunesse, ils se sentaient plus fort que Bonnie and Clyde !
Il
avait juste oublié la fragilité de Clara.
Les
Escarate avaient d’abord tué ses deux petits frères, Stanley et Pedro, étant
certains de s’assurer ainsi de sa totale soumission. Ils les avaient attrapés à
la sortie de l’école et les avaient abattus froidement en pleine rue. Derrière les
rideaux, tout le monde s’était tu, tout le monde s’était caché.
Bien
sûr, il comprenait que c’était terrible pour elle, mais après tout ce qu’ils
avaient partagé, il ne l’aurait jamais cru capable de ça. Elle l’avait trahi.
Elle avait fait plus que le laisser tomber, elle leur avait tout balancé,
l’adresse de la planque, leur projet de fuite, et même le nom sous lequel il se
cachait.
Depuis cinq jours qu’il
tournait en rond dans cette pièce, il avait bu toutes les bouteilles et lu tous
les livres. Il ne lui restait que des cartouches de cigarettes pour toute
évasion.
Il
n’avait plus le choix. Après une nouvelle nuit d’insomnie, il avait enfin pris
une décision, il allait bouger, il fallait qu’il bouge. Bonnie était morte, ou
c’était tout comme, et lui, Clyde, ne pouvait compter que sur lui-même pour
s’en sortir.
Alors
que les rideaux ondulaient avec le vent, il fumait une cigarette au bord de la
fenêtre ouverte. La vue donnait sur le parking d’en face mais son esprit volait
au-dessus de la ville. Il repensait à tout ce qui lui était arrivé, à Stanley
et à Pedro…
Doucement,
son regard fit le tout du petit appartement où il se trouvait. Il y avait un
lit et une malle pour ses vêtements, sur la table de nuit un bouquin de
Tenessee Williams et une bouteille de scotch vide, une minuscule cuisine où il
se servit un verre.
Il
prit une autre cigarette dans un des nombreux paquets qui s’entassaient sur la
table basse et l’alluma. Ses idées n’étaient pas très claires, une fois revenu
à la fenêtre il décida de réfléchir encore. Même s’il n’avait pas vraiment le
choix, il n’arrivait pas à se faire à l’idée. Il écrasa sa cigarette dans le
cendrier, tout s’était passé si vite.
D’un geste de la main il replaça ses
lunettes de soleil, il était prêt…
Il
y avait sous le lit un gros sac marron avec tout le nécessaire pour fuir les
ennuis avec la police ou la famille Escarate. Il récupéra le revolver dans la
boite métallique sous l’évier et une liasse de billet, c’était le moment de
partir. Il tira la porte derrière lui, s’arrêta un instant sur le palier. Il
prit son sac de voyage et descendit lentement l’escalier sans se retourner.
L’espace d’un instant, il se demanda si ces trois derniers jours avaient bien
été réels, s’il n’avait pas tout simplement rêvé. Mais au fond de lui, il
savait qu’il ne reviendrait pas.
Il reprit lentement
sa descente de l’escalier, savourant à chaque marche le craquement rassurant du
bois qui pliait sous son poids. Un départ, ça se prenait lentement, comme un
avion au décollage. Si on allait trop vite on prenait le risque de s’écraser en
bout de piste avant d’avoir pu déployer ses ailes. Il allait devoir faire
attention, se faire discret pendant quelques temps, partir dans des coins où on
ne le connaissait pas. Le jeu du chat et de la souris, c’était quelque chose
qu’il connaissait bien. Mais il n’avait pas l’habitude de jouer le rôle du
chat… Il arriva enfin sur le palier. Encore un pas, et c’était tout un chapitre
de sa vie qui allait se terminer. Serrant les dents, il sortit dans la rue et
obliqua brusquement vers la droite, les yeux rivés sur le macadam sale et grevé
de chewing-gum.
«
Gary ! »
Le
cri désespéré le fit se retourner brutalement. Clara était là, assise par terre
à côté de la porte qu’il venait de franchir, le dos collé contre la vieille
embrasure en pierre. Elle portait encore la robe d’été bleue dans laquelle il
l’avait vue il y encore deux jours. La robe était déchirée par endroits et de grandes
traînées terreuses maculaient le devant. Son visage faisait peine à voir. Ses
cheveux blonds, d’habitude souples et brillants pendaient de chaque côté de ses
joues comme de la ficelle jaunie. Ce visage qu’il avait passé tant de nuits à
caresser et à embrasser, était défait et bouffi. Il remarqua une ecchymose qui
virait au violet sur son bras droit, et un des ses genoux était écorché, une
coulure de sang séché lui descendait jusqu’au tibia. Elle se releva
douloureusement en titubant et un faible sourire s’esquissa sur sa bouche sèche
et craquelée. Elle s’écria une nouvelle fois « Gary » en s’avançant vers lui.
Affolé, il se précipita vers elle, manquant décrocher son sac de son épaule. Il
l’attrapa brutalement par le bras, interrompant sa tentative de la prendre dans
ses bras, et la poussa sans ménagement par la porte qu’il venait de quitter. Sous
la violence du geste, elle trébucha et s’affala sur le carrelage terni de
l’entrée. Après avoir discrètement vérifié que personne n’avait remarqué la
scène, il referma la porte derrière lui et explosa de rage.
«
Tu es folle d’être venue ici ! Tu cherches à nous faire tuer tous les deux ?
Stan et Pedro ne t’ont pas suffi ? »
Pour
ponctuer sa colère, il jeta avec force son sac sur le sol.
Clara,
sous le choc du terrible accès de colère de Gary, n’essaya même pas de se
relever. Hébétée, elle le regardait d’un air d’incompréhension totale. Des
larmes montaient à ses yeux et venaient rejoindre les sillons qui maculaient
déjà ses joues. Ce spectacle pathétique provoqua un véritable tourbillon
d’émotions dans la tête de Gary. Il avait tenu sa main pendant tant d’années.
Il avait tant vécu avec elle. Il avait eu faim avec elle, il avait souffert
avec elle. Il avait senti son coeur grandir et déborder pour elle. Il sentait encore
sous sa main le grain soyeux de sa peau nue, sur sa langue le goût sucré de ses
baisers. Mais après les événements de ces derniers jours, il ne pouvait plus ressentir de
tendresse pour elle. Il était
furieux, désespéré, désorienté. Il devait partir, seul, Clara l’avait trahi, il
ne pourrait plus jamais y avoir de confiance entre eux.
«
Je dois m’en aller Clara, ils vont me retrouver, toi aussi sûrement, tu dois
partir.
–
Emmène-moi avec toi, l’implora-t-elle, je suis désolée Gary, tellement désolée.
Elle
sanglotait à présent, affalée sur le sol, la tête levée vers lui, le regardant
comme s’il pouvait tout réparer.
–
Non Clara, non, c’est fini. »
Il
se pencha vers elle, effaça quelques larmes avec son pouce pour toucher une
dernière fois son visage, puis ramassa son sac et sortit, la laissant derrière
lui.
Il
arrivait à sa voiture quand il entendit à nouveau la voix de Clara hurler «
Gary » suivie d’un coup de feu. En se retournant, il la vit s’effondrer sur le
sol tandis qu’une voiture démarrait à toute allure. Les clefs à la main il
resta pétrifié, les yeux sur ce corps étendu, qui ne bougeait plus. Son esprit
était totalement vide. Puis, des gens approchèrent du corps, il entendit au
loin les sirènes d’une ambulance. Il ouvrit la voiture, balança son sac sur le
siège passage et démarra.
C’était
fini. Il devait fuir. Loin.
MASSIF
DES ECRINS (David, Marithé, Annick, Claire, Isabelle)
Pierre contemple avec
désespoir son sac à dos posé avec précaution sur son lit. Il est plein à
ras-bord et ne pourra certainement pas contenir l’attirail qu’il lui reste à y
mettre. C’est toujours la même histoire. Il n’est pas très doué pour optimiser
le rangement et finit toujours par laisser des objets qui s’avéreront
indispensables par la suite. L’année dernière, il avait renoncé à emporter une
paire de chaussures de rechange, et quand il avait ensuite mis le pied dans un
ruisseau, il avait dû marcher tout le reste de la journée avec une chaussure
trempée. Il grimace au souvenir du pied gonflé à la peau plissée qu’il avait
retiré de son humide cocon le soir venu.
Non
! Cette fois, il va falloir que tout rentre ! Il ressort précautionneusement
tous les objets un par un et se remet au travail. Au bout d’une heure, il doit
se rendre à l’évidence : tout ne va pas rentrer. Il va falloir soit qu’il
change de sac, soit qu’il renonce à nouveau à emporter quelque chose. La tente
? Hors de question. Le pull de rechange ? Ils allaient marcher en montagne, ça
ne serait pas prudent. Le réchaud ? Hum, oui, c’est possible. Il pourra
toujours emprunter celui de Marc à l’étape. Après une nouvelle demi-heure de
lutte acharnée, Pierre réussit enfin à boucler la sangle de fermeture. Cette
fois, c’est gagné. Cette année, il a tout ce qu’il faut et ne devra pas
supporter les railleries d’Anne. Et bien sûr, il a réussi à y dissimuler
l’objet qui va changer le cours de sa vie. Demain, la randonnée va être
mémorable...
Tous sont arrivés
à l’heure au rendez-vous. Il fait beau en ces derniers jours d’été, une bénédiction
pour ce « trek » de trois jours programmé de longue date. Après les effusions
des retrouvailles, la petite colonne se met en marche rapidement. L’étape ne présente
pas de difficulté majeure, mais elle est relativement longue et le dénivelé
assez conséquent. Le pas est rapide sous la fraîcheur de l’aube évanescente,
les conversations s’harmonisent au rythme de la cadence, chacun étant fringant
et dispos.
Après
avoir traversé un bois sombre, pentu, touffu, l’itinéraire parcourt un sentier
de crête qui déjà se réchauffe au soleil. Un premier arrêt s’impose, le temps
de se défaire d’un vêtement trop chaud et déjà se désaltérer. Au loin on devine
le petit chemin tortueux au flanc de la montagne.
L’air est pur à ces hauteurs, les choucas volent en maîtres de l’univers,
ironisant gentiment sur ces intrus marcheurs qui suent et soufflent sous le poids
de leur sac. Des roches nues jalonnent le chemin. De toutes petites fleurs
poussent au ras du sol, leur couleur vive donne aux roches un air moins
austère. Pas un nuage dans ce ciel serein, le groupe de marcheurs peut donc
s’engager plus avant dans la montagne et atteindre le refuge avant la nuit. La
montée sera rude, les sacs sont lourds mais leur moral est au beau fixe. Les
chamailleries du départ sont englouties dans l’effort.
Soudain
Marc s’écrie :
«
Pierre est-il avec vous ?
–
Non il a dit qu’il fermait la marche.
–
Mais non, il n’est pas là ! »
Panique. Que
s’est-il passé ? Les regards se tournent tous successivement vers Anne qui apparaît
après le dernier virage. Celle-ci semble complètement perdue dans ses pensées et
vient buter sur le sac de Paul. Elle relève la tête et perçoit immédiatement
l’inquiétude et la réprobation dans le regard de ses amis.
«
Quoi ? Que se passe-t- il ? » dit-elle en arrachant ses écouteurs.
«
C’est Pierre, il n’est pas avec nous et nous ignorons depuis quand ».
Marc,
qui a la responsabilité du groupe, jette un oeil discret sur sa montre. Il est
19h et il reste encore deux bonnes heures avant le refuge. Le dernier arrêt
était à une petite heure de là et il se souvient encore des railleries
déplacées de Pierre sur le sac à dos hors d’âge d’Anne. Il avait hésité à le
reprendre et s’était même interrogé sur une histoire potentielle entre ces
deux-là, étant donné la vivacité de leurs échanges. Puis il l’avait plutôt mis
sur le compte de la fatigue et avait oublié l’incident. Pierre est un
montagnard aguerri et prudent, un co-équipier fort appréciable à vrai dire, et
son absence est d’autant plus étonnante. Pendant que Marc tente vainement de se
souvenir quand il l’a vu pour la dernière fois, les divergences classiques se
font entendre dans le groupe. Quelques-uns voudraient repartir en arrière à la
recherche de Pierre, certains préconisent de rester sur place et d’attendre
qu’il les rejoigne, et d’autres, enfin préféreraient regagner le refuge avant
la nuit.
Marc
hésite quand soudain Anne se met à crier « Pierre, Pierre où es-tu ? »
Elle
se tait une minute, tous écoutent, mais pour toute réponse, seul résonne l’écho
des cris d’Anne. Alors ils s’y mettent en choeur, hurlant, « Pierre, Pierre
où-tu ? » « Pierre, tu nous entends ? »
Marc
ne sait plus vraiment quoi faire. Bien qu’en juillet, le ciel commence à
s’assombrir, la nuit tombe plus vite en montagne, et, en tant que responsable
du groupe, la décision lui incombe. Il ne va pas tarder à faire complètement
noir, il faut repartir. Mais Anne ne cesse de hurler « Pierre, Pierre, reviens,
ne me laisse pas, Pierre … ! »
Marc
s’approche d’elle, lui enlaçant les épaules,
«
Écoute, Anne il ne répond pas, il faut que nous repartions maintenant pendant
nous y voyons encore un peu...
–
NON gémit Anne, je reste, je ne bouge pas de là !
–
Anne, écoute je vous emmène tous au refuge et je repars le chercher, tu sais,
c’est un bon marcheur, il connaît bien la montagne, ne t’inquiètes pas, et de
toute façon je suis là. »
Ils
se remettent en marche, Marc soutenant Anne qui traîne les pieds, elle se
retourne sans arrêt pour regarder les sommets qu’on ne devine plus qu’à peine.
Elle pleure. Quand, fatigués et inquiets, ils arrivent au refuge, Pierre est
là, sur la terrasse. Sur la table en bois, il a étendu une nappe blanche et
allumé des bougies. En les voyant arriver, il sourit dans la lueur tremblante
de la flamme.
«
Ah vous voilà enfin, je me demandais ce que vous fabriquiez, je commençais même
à m’inquiéter ! »
Toujours
en pleurs, Anne le rejoint en courant, furieuse et heureuse à la fois, elle le frappe
à la poitrine.
«
Mais où tu étais, j’ai eu si peur, Pierre, j’ai cru que tu avais disparu... »
Pierre
rit.
«
Tu sais bien qu’il ne peut rien m’arriver, je voulais juste te faire une
surprise. »
Alors
il s’agenouille devant elle et, lui prenant la main, y dépose un petit écrin de
velours rouge. Anne l’ouvre, sur la soie pourpre tel un flocon de neige, brille
une bague en diamant.
« Anne,
veux-tu m’épouser ? »
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